• Du boulevard Raspail à la rue du Bac

    C’était mon trajet d’école, la main dans la main de papa, maman ou Melle Huile, la secrétaire de papa à la Compagnie nationale du Rhône. De 4 ans à 9 ans, j’ai emprunté le trottoir du boulevard Raspail à partir du 28 jusqu’à la rue Chomel. Ma petite école de « l’Aidaumer », ou plutôt les Alouettes, externat de petites filles fondé en 1933 au 12, rue Chomel, par l’asso de l’Aide aux mères de familles, pour venir en aide à ces mères sans toutefois se substituer à leur éducation, n’est-ce-pas. C’était un jardin d’enfant, qui se prolongeait en école primaire, ouverte, dans la mesure des places disponibles, aux petits garçons jusqu’à 7 ans. Après ils allaient chez les Jésuites, bien évidemment, qui devaient être rue de la Chaise, et qui ne prenaient – bien sûr – pas de filles. Dans cet hôtel particulier, recyclé, restait un superbe escalier de marbre et de très beaux volumes. Un Noël où j’avais eu l’insigne honneur de jouer la vierge Marie, devant tous les parents, me reste comme le souvenir le plus cuisant de ma jeune vie de comédienne. Lors de l’annonce par l’ange Gabriel – oui oui, c’était un garçon – de ma future maternité, je suis restée coite. Ma réplique devait être : « Mais comment cela se passera-t-il ? ». Bien sûr les bonnes enseignantes cathos avaient zappé la suite (« puisque je ne connais pas d’homme »), on avait 7 ans. Et moi qui avait répété avec mes parents, jusqu’à les soûler, ce texte, le jour de la représentation,aucun mot n’a franchi ma bouche. Je scrutais la salle, n’entendais pas les souffleurs, jusqu’au moment où – par miracle sans doute – la phrase est sortie, au grand soulagement de toute l’assistance. OUFFFFE ! L’ange Gabriel et ses ailes ont pu rejoindre les coulisses et moi la crèche et mon rôle muet. Enfin ! J’ai récidivé une seule fois, au lycée, dans le rôle d’Hippolyte, de Racine. Et ce fut à peu près aussi catastrophique. Le trac donc. Et la fin de mes tentatives théâtrales.

     

    Mais revenons rue Chomel. Il y avait un Bon Lait, halte bienvenue au retour de l’école. On allait voter – enfin mes parents – à l’école communale, pour le député « inamovible » de la circonscription, Frédéric Dupont, se souvient papa, dans ses Mémoires (Memento 1923-2003), d’un soir où il avait été recruté comme scrutateur. « La pharmacie Thébadi à l’angle de la rue de Babylone (un café maintenant) était parmi nos fournisseurs habituels ainsi que le Sip babylone pour le petit quatre heures » poursuit papa. Le Sip a toujours pignon sur rue, un café maintenant, où j’ai pris un thé en admirant la façade du Lutetia toujours en travaux.

     

    Écolière, j’allais au square de la rue du Bac, avec les autres. Il me semble qu’on passait par derrière l’école pour aboutir à cet espace dont ne disposait pas les Alouettes. Un peu tristounet mais si calme ! Que je me croyais presque hors de la ville. Rien à voir avec le square Boucicaut, entre rue de Sèvres et de Babylone, si bruyant. Par la rue de Commailles, où j’ai eu par la suite une copine de lycée, Brigitte Duvaux, et où on allait chercher le pain, on y était tout de suite rendu à ce petit square qui semble sorti d’une ville de province, vrai havre de paix au milieu de la capitale. En face des Missions étrangères, haut lieu de la rue du Bac. Où cohabite le luxe du Bon Marché, de son Épicerie, et la Médaille Miraculeuse, haut lieu de foi, de ferveur dans la prière, en souvenir de la Sainte Vierge apparaissant à la petite Catherine Labouré. Rue du Bac : tout un monde disparu, de Chateaubriant à Romain Gary, de Malraux à Jean d’Ormesson, mais qui hante peut-être encore ces lieux… Une rue si paisible en apparence mais derrière les portes cochères, que d’histoires depuis les Clermont-Tonnerre ! Mon père se souvient qu’ « un jour, aux petites halles, nous avons rencontré Couve de Murville en campagne électorale, très mal à l’aise au milieu des cageots de légumes et de fruits ». Ministre des affaires des étrangères (de 1958, à 1968) puis un an premier ministre du Général de Gaulle, l’homme habitait la rue.

     

    Voilà la rue du Bac que j’adorais et adore toujours. Le chic qui ne se montre pas, le chic sans fautes des parisiennes du 7e. Et la poésie féerique des vitrines de Noël du Bon Marché, cette année sous le signe du Bon Sapin. Les petites filles sont belles, chics elles aussi : je crois revoir – en mieux encore – celles que nous étions aux Alouettes.

     


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